17.9.07

This is Spartaaaaaa!

Cette pub est sublime:




C'est signé Michael Mann. La musique de la pub vient de la BO du "Dernier des Mohicans". En voyant une pub comme ça, on comprend bien comment 300 a cartonné aux USA.

Contrairement au rugby, le football américain est plus proche du spectacle que du sport: costumes, masques, confrontations brutales, sacrifices héroïques...tout les ingrédients sont là pour transformer le terrain en scène de théâtre. Cette pub insiste sur l'aspect mythologique du football, vécu comme un accomplissement de soi, comme une quête acharnée menée contre vents et marées, contre l'hostilité de la nature, contre les autres hommes qui se mettent en travers de notre chemin, et contre nos propres limites...

Le joueur est élevé au rang de demi-dieu. Tel Hercule, il accomplit 12 travaux (j'ai compté 12 placages/défonçages, si on s'en tient aux effets sonores). A travers les transitions fluides entre les deux joueurs, on a l'impression d'assister à une quête cyclique, répétitive, incertaine, infinie... Et puis soudain, tout ralenti, tout s'arrête, un bras s'étend, prêt à marquer le touchdown qui sauvera son équipe. Va-t-il y arriver? Sisyphe pourra-t-il enfin trouver le repos?

Bien que tout cela ne soit pas très original pour une publicité sportive, il est intéressant de voir à quel point le talent d'un réalisateur comme Michael Mann parvient à insuffler de la fraicheur à un de ses plus vieux clichés. Avec cette caméra qui reste très proche du joueur, tout en gardant une distance respectueuse - le joueur est tel un demi-dieu, que l'on côtoie sur le champ de bataille, mais que l'on ose pas approcher de trop près - et avec un montage qui cherche à créer une illusion de plan-séquence, une illusion de continuité, de flux, Mann inscrit son joueur dans une temporalité, dans la durée. Avec cette idée de durée vient la notion de l'effort fourni, du passage du temps, de la dégradation du corps. Il y a l'exploit (incertain), et avant, il y a la souffrance consentie (réelle, puisque vue par nous) pour accomplir cet exploit...et surtout, il y a ce (ces) mortel(s) pris dans le flux, poussé par quelque chose qu'il n'est pas sûr de contrôler...et là, on retrouve l'une des thématiques chères au cinéaste Michael Mann, celle de l'homme qui ne parvient plus à contrôler un monde qui lui échappe, qui va trop vite pour lui. La quête du joueur de football est-elle vraiment volontaire? Est-ce sa propre volonté qui le fait se relever sans réfléchir, qui le fait courir sans interruption d'un bout à l'autre du terrain? Ou bien est-il le jouet des puissances divines (son manager, son agent, ses sponsors...) qui contrôlent sa destinée?

Contrairement à un montage accéléré et saccadé à la sauce MTV dans les années '90, avec des images-choc diffusées de façon quasi-subliminale, des images d'exploits sans passé ni avenir, le montage de cette pub nous laisse le temps de vraiment ressentir l'ampleur de la tâche. Le fait que l'on rentre en plein dans l'action, et que l'on quitte nos héros avant qu'ils n'aboutissent au sacre annoncé ne fait qu'amplifier l'impression d'un cycle infernal.

L'image finale est spectaculaire sans l'être excessivement. Sa force vient avant tout de toutes les images qui l'ont précédée. L'accumulation de petits exploits crée (on l'espère) un grand exploit, crée l'illusion d'une action à la fois spectaculaire et pourtant à la portée de celui qui se donnera suffisamment de mal, qui ne "lâchera rien"(Leave nothing, c'est le nom du spot)... C'est l'exploit qu'accomplit Michael Mann dans ce spot: créer l'illusion d'une entreprise à la fois surhumaine et à la portée de tous. Un lieu magique où l'humain et le divin coexistent. Où s'arrête le génie humain et où commence l'inspiration divine?

Dans cette affaire, le plus drôle (voire le plus triste, c'est selon), c'est que les images de Mann ne sont pas très éloignées de la réalité. Le football professionnel est énorme machine à broyer les hommes, qui pulvérise plus ou moins rapidement ceux qui le pratiquent au plus niveau. Pressions physiologiques énormes, stéroïdes...le football américain, plus que beaucoup d'autres sports, broie les hommes, les vieillit prématurément, les enterre prématurément. Il y a bien des sacrifiés sur l'autel du football américain, qu'on oublie très vite, parce que bon, hein, "the show must go on". Ils sont adulés comme des demi-dieux, mais ils sont bien vites relégués à leur statut de simple mortel avec les inévitables blessures et addictions en tous genres... N'est pas Achille qui veut!

Pour en savoir un peu plus sur le sujet, pour voir des belles images bien énormes de football brutal, pour voir un bon film cynique sur un sport cynique, foncez vous procurer l'excellent Any Given Sunday, d'Oliver Stone, que je décrirais tout simplement comme l'Apocalypse Now du football américain.