23.4.07

Hold me close cause I want you to guide me to safety...

Finalement, la stratégie des marketeurs de Spider-Man 3 n'est pas si mauvaise. En témoigne le choix d'une chanson du groupe irlandais/écossais Snow Patrol pour être le single de la BO du film. Le single de la BO d'un film comme celui-là, c'est le morceau qu'on entend par-dessus le générique de fin. Vous voilà prévenus!
Snow Patrol, c'est un groupe de rock solide, pas forcément très original, mais qui excelle dans l'art des "power ballads", les morceaux de rock sur l'amour impossible, sur la fragilité des âmes sensibles, sur les mecs que la Vie ont brisé,...des morceaux où les bonnes grosses guitares servent à faire couler de bonnes grosses larmes sur les joues des ados. C'est un rock qui fait un calcul assez simpliste: plus il y a d'instruments, plus il y a de sentiments. Et c'est un rock qui a un certain succès aux Etats-Unis...

Snow Patrol, c'est un groupe dans la même veine que U2 et Coldplay, mais un cran en dessous musicalement...on aime écouter les singles, mais au fond on a pas forcément envie d'acheter l'album pour aller plus loin. C'est le genre de groupe dont on sait pertinemment le single est forcément le meilleur morceau de l'album, ce qui n'est jamais vraiment encourageant...Néanmoins, ils parviennent quand même à sortir à intervalle réguliers des morceaux plutôt accrocheurs qui font chialer: Spitting Games et Run il y a quelques années, Chasing Cars plus récemment.

Aux Etats-Unis, pour faire connaître ce genre de groupe, on place ses chansons dans des séries sentimentales, comme Smallville ou Les Frères Scott.
Exemple-type: The Calling, Wherever You Will Go, un one-hit wonder aux US et un des morceaux les plus entendus dans les séries américaines grand public pendant les années 2002-2003 (je le sais, j'y étais, j'en ai souffert, et maintenant je ne peux plus entendre cette chanson sans penser à Clark Kent et Lana Lang qui se regardent droit dans les yeux et n'arrivent pas à se comprendre)...Généralement, ça vient au moment de la confession, vers la fin de l'épisode, quand le mec explique à la nana que s'il a fait des conneries, c'est parce qu'il est sensible, et que la vie l'a brisé, et qu'il faut qu'elle lui pardonne tout...comme l'indique le titre de la chanson, la nana finira par suivre le mec partout où il ira...
Bref, la power ballad, c'est le morceau qui fait monter la sauce ("sortez les mouchoirs!"). Certaines séries sont mêmes réputées pour leur choix musicaux, et la façon intelligente dont ils utilisent cette musique. Chasing Cars, pour revenir à Snow Patrol, est le morceau qui porte un des derniers épisodes de la 2ème saison de Grey's Anatomy, et il faut bien reconnaître que le montage musical est superbement construit. Le morceau accompagne et amplifie l'intensité dramatique d'un épisode proprement apocalyptique. On entend un morceau sur un mec que la Vie a brisé pendant qu'a l'écran une nana va affronter les épreuves de la Vie (et la Vie, qu'est-ce qu'elle leur fait aux gens? Elle les...)...

On peut cependant faire encore mieux, et inclure ce type de morceau dans la B.O. dans un film grand public comme Spider-Man, le genre de film ou les effets spéciaux (les grosses guitares) côtoient les intrigues sentimentales (les grosses larmes). Bref, le bon dosage d'action et de sentiments que l'on trouve dans les films de super héros le rend tout à fait propice aux power ballads. Il suffit de repenser à Hero, de Chad Kroeger, single de Spidey 1. Chad Kroeger, qui a une belle tête de Jésus Christ, y chante à la gloire du héros qui doit sauver le monde (c'est un peu raté, le monde de Spider-Man s'arrête à Manhattan, avec quelques incursions dans le Queens, parfois). Le chanteur de Nickelback est aussi l'auteur d'une énorme power ballad, sorte d'hymne non-officiel du néo-métal: How you remind me, (encore) un morceau sur un mec que la Vie a brisé...(va-t-il finir par voter Sarko, pour retrouver sa dignité, relever la tête, tout ça?). Face à un tel pedigree, comment peut-on ne pas être ému?

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Bref, tout ça pour dire que mon coup de coeur musical du moment, et c'est de ça dont je voulais parler à la base, c'est Signal Fire de Snow Patrol. Non seulement le morceau est bien, mais son clip est assez malin. Plutôt que de passer des extraits du film entrecoupés d'images du groupe en train de jouer son morceau, ils ont imaginé une pièce de théâtre avec les meilleurs moments de Spider-Man 1&2, joués par des enfants en primaire. C'est plutôt décalé comme promo, et ça marche bien, notamment grâce à la voix très juvénile du chanteur.

22.4.07

Is there anybody out there?

J'aime le rock progressif. J'apprécie beaucoup de genres musicaux différents, mais si je devais n'en choisir qu'un seul, ce serait le rock progressif. J'adore les morceaux de rock qui durent 20 minutes, et qui racontent des histoires complêtement délirantes sur fond d'effets sonores de ruisseaux et de mouettes. J'aime le rock progressif parce qu'il raconte une histoire.

Dans le rock progressif, il y a un concept-roi, celui de "l'album concept": un album de chansons autour d'un même thême, d'une même histoire. Les concept albums, sont des oeuvres d'art entières, des productions musicales où chaque morceau doit jouer son rôle pour faire avancer une histoire ou explorer un thême donné. C'est très ambitieux de vouloir faire un concept album, et ça ne marche pas toujours parfaitement. Parfois, on a affaire à des "demi albums concept", comme Duke de Genesis ou Funeral d'Arcade Fire.

Voici, selon moi, les meilleurs albums concept:

Dark Side of the Moon (1973), de Pink Floyd

Le concept-album ultime. Le chef-d'oeuvre d'un groupe légendaire. Dark Side of the Moon est une exploration de la vie des hommes du XXème siècle. Tous les thèmes majeurs y sont abordés: le passage du temps (Time), l'influence de l'argent (Money), les conflits entre humains (Us and them), la jouissance (The great gig in the sly, un incroyable orgasme musical), la folie (Brain Damage)...Thématiquement, ça reste donc assez général. Musicalement, l'album est parfait: les morceaux s'enchaînent sans le moindre problème pour former un seul long morceau de 40 minutes. Certains morceaux surprennent par leur avant-gardisme (On the run, c'est de la techno!), d'autres par leur beauté extraordinaire (jamais on avait articulé, de façon aussi belle et aussi déséspérée, le passage du temps, que dans Time). Dark Side of the Moon, c'est l'apogée créative de Pink Floyd. Un album parfait.

OK Computer (1997), de Radiohead

Si on cherche un successeur à Dark Side of the Moon, on tombe forcément sur OK Computer. Sorti par Radiohead en 1997, OK Computer nous offre une exploration du monde moderne, en abordant des "grands thèmes" tels que le progrès technologique (Airbag), le confort moderne (Fitter Happier), la vie en société (Paranoid Android), le politiquement correct (Karma Police), la politique-spectacle (Electioneering) et, bien sur, la folie (Climbing up the walls)...Si les thèmes abordés ne sont pas forcément aussi évidents à observer que ceux de Dark Side of the Moon, la cohérence musicale, elle, est bien présente. Ecouter OK Computer, c'est plonger dans un monde bizarre, qui ressemble au nôtre, où le rock classique et l'électro se rejoignent. OK Computer, c'est une entrée dans un nouvel univers, rempli d'espoir et de tristesse. Radiohead s'adresse à la génération '90, celle qui est consciente du cynisme de ses pères, mais qui choisit d'espérer, et de croire en un avenir meilleur. Une génération qui tente de réconcilier le pragmatisme et l'idéalisme. De ce double idéal naît une tension qui parcourt OK Computer et en fait un album essentiel.

Alors, s'agit-il vraiment d'un concept-album? Voici l'avis de Wikipédia:
Thus, a case has been made that it is, if not conceptual, still a thematically cohesive album about the present, perhaps using futuristic technological imagery to make sociopolitical points, rather than to create its own sci-fi narrative.

The Wall (1979), de Pink Floyd

Eh oui, encore un album de Pink Floyd! Si j'aime les albums concept, c'est avant tout grâce à ce groupe: à partir de Dark Side of the Moon, le groupe ne produit que des albums concept! J'en profite donc pour citer les superbes Wish You Were Here (un album en hommage à Syd Barrett, le "diamant fou", fondateur du groupe, que la célébrité et les drogues ont transformé en Homer Simpson) et Animals (une exploration des comportements humains, vus à travers le prisme du Animal Farm de George Orwell). The Wall, c'est le sommet créatif de Roger Waters, le bassiste mégalo qui a pris le contrôle total du Floyd. L'album est, officiellement "Ecrit & Composé" intégralement par Waters. L'enregistrement de l'album se fait dans une très très grande tension, et le groupe ne s'en remettra jamais. Si l'on peut facilement contester la version officielle selon laquelle Roger Waters à tout fait sur cet album, on ne peut nier sa nature intensément personnelle. The Wall, c'est la descente aux enfers de Pink, une rock star que son succès rend fou. Comme Waters, Pink se met à mépriser les fans, et va même jusqu'à utiliser son influence sur eux pour en faire une sorte d'armée de jeunes nazis. Pink, comme Waters, n'a jamais connu son père, puisque celui-ci est mort pendant la Seconde Guerre Mondiale. Tous un tas de thèmes se mélangent dans The Wall: l'absence du père, le star-system, la folie, le fan(atisme), la guerre...Ensemble, ils font de The Wall le plus grand opéra-rock de tous les temps, sur lequel on trouve l'un des plus grands morceaux de Pink Floyd, celui qui donne son nom à ce blog: Comfortably Numb.
Et quand on aime The Wall, on se doit de voir le film qui s'en est inspiré: Pink Floyd: The Wall. Ecrit par Waters, le film est un complément indispensable à l'album.

Scenes from a Memory (1999), de Dream Theater

On arrive donc à Scenes from a Memory, du groupe de métal progressif Dream Theater. Les raisons qui me font adorer cet album sont les mêmes que celles qui le feraient detster d'un autre: Scenes from a Memory est un album ambitieux, étonnant, fatiguant. On y trouve des chansons où l'Amour triomphe de la Mort, où la réincarnation de l'âme devient possible. Les morceaux portent des noms dont on ne sait s'il faut les trouver grandiloquents ou ridicules. Exemples: "The Dance of Eternity" ou "Beyond this life". SFAM est un opéra rock, où chaque morceau constitue un "acte". C'est l'histoire de Nicolas, un jeune homme qui fait des cauchemars étranges. Il entreprend une séance d'hypnose, pour comprendre d'où viennent ces cauchemars qui ressemblent à des souvenirs. Et là, tout explose, Nicolas remonte le temps pour découvrir que ses cauchemars décrivent le meurtre sordide d'une jeune fille tuée par un serail killer en 1928! Passé et présent se téléscopent, Nicolas se découvre être la réincarnation de cette jeune fille assassinée, et pour enfin trouver la paix, il devra fouiller les souvenirs de sa vie antérieure pour découvrir l'identité du tueur...Bref, c'est très compliqué, mais ça tient. Et surtout, la musique nous fait ressentir le voyage intérieur de Nicolas: les thêmes sont répétés, changés légèrement, tout comme les paroles, structurées parfois en clash entre les diverses personnalités qui se croisent dans les souvenirs...La Vie, l'Amour, la Mort, la Rédemption: oui, Dream Theater aborde tout ces thêmes casse-gueule en assumant à 100%. Certains trouveront la démesure de cet album ridicule. Les autres seront conquis par son romantisme exacerbé.

American Idiot (2004), de Green Day

Avec American Idiot, on reste dans le genre de l'opéra rock, et c'est Green Day, l'un des groupes de punk les plus populaires aux Etats-Unis, qui s'y colle. American Idiot, c'est un voyage dans l'Amérique de 2004, une Amérique encore traumatisée par le 11 septembre, dominé par un pouvoir politique va-t-en guerre et complêtement incompétent. American Idiot, c'est un cri du coeur, c'est toute la colère des jeunes Américains (de gauche), quelques mois avant une élection présidentielle dont on espérait qu'elle permettrait de remettre le pays sur le droit chemin après l'horreur de l'administration Bush. On connait la suite...malgré ça, cet album garde une puissance et une fraîcheur incomparables. Il fait partie de ces albums qui sont comme une photo instantanée d'une époque particulière, d'un moment bien précis dans le zeitgeist, l'air du temps. En tant que jeune Américain faché contre son gouvernement, je partage la colère de Green Day. C'est un album que j'aime parce qu'il me ressemble. Et musicalement, c'est le plus ambitieux, et le plus abouti, de tous les albums de Green Day. C'est du punk progressif en quelque sorte: les morceaux s'enchaînent parfaitement, certains durent près de 10 min (l'incroyable Jesus of Suburbia)...contrairement aux punkeurs fadasses qui font de la musique sucrée et s'adressent aux faux rebelles ados, Green Day nous offre un album sérieux, bourré d'idées, un album qui renoue avec les racines politiques du punk, et qui prouve que ce n'est pas parce que l'on a plus trente ans et qu'on mène une vie confortable qu'il faut arrêter de critiquer la société.

19.4.07

Look out! Here comes the Spider-Man!

Alors que ça fait deux mois qu'on a l'impression d'être coincés dans un désert cinématographique, inutile de paniquer! Parce que dans deux semaines, Spider-Man 3 arrive enfin!

Spider-Man, c'est la plus réussie de toutes les adaptations de comics au cinéma. C'est le pari réussi de confier le budget d'un blockbuster à un spécialiste du système D, et accessoirement fan du personnage, Sam Raimi. C'est l'idée géniale de mettre au centre du film deux acteurs plus habitués à des petits films d'auteurs, Kirsten Dunst et Tobey Maguire, pour donner à ces films si éxubérants et colorés une touche de réalisme, d'émotion sincère. Spider-Man, c'est une série de films qui a capté l'essence de ce qui rend le personnage aussi populaire en BD. Spider-Man est l'archétype du anti-héros à la Marvel.

Après la réussite éclatante du premier volet, et le surpassement de cette réussite dans le second volet, on est en droit d'être confiants pour le troisième épisode. Raimi a construit un véritable univers, dont les personnages, même secondaires, s'étoffent au fur et à mesure. On y retourne donc avec plaisir, curieux de découvrir comment ont évolué Peter, MJ, mais aussi Harry, Jonah Jameson ou le prof Connors...Le plaisir que l'on éprouve à retourner dans ce monde que l'on connait bien, il vient aussi de la nouveauté qu'on y trouvera. A l'image d'un Peter Jackson, Sam Raimi est un des seuls réalisateurs de blockbusters à se poser la question de la mise en scène de l'action: que voit-on? comment le voit-on? Voici les questions que se pose l'exigeant Raimi, qui cherche la nouveauté dans chaque plan. Le cinéphile blasé, qui croit avoir tout vu en matière de cinéma d'action, est sûr d'être surpris. Faire sortir le cinéphile blasé de son snobisme, c'est très très fort. Et ça, Sam Raimi est capable de le faire.

La force de cette série, par rapport à d'autres sagas superhéroïques, c'est que le conflit, le trouble, vient avant tout du personnage central, Peter/Spidey. Dans chaque film, le conflit intérieur fait avancer le film, et le rôle du (ou des) méchants est de venir exacerber ce trouble, de l'amplifier, ce qui se traduit en langage cinématographique par des bonnes grosses scènes de baston et d'explosions. Bref, les adversaires métahumains de Spidey sont presque accessoires! Ils sont là parce que tout film de comics qui se respecte se doit de contenir des scènes qui font monter l'adrénaline, les scènes où les super-héros, dieux vivants, accomplissent des exploits surhumains. Lire une histoire de super-héros, c'est se faire psychanalyser pendant qu'on s'accroche au char d'une montagne russe. L'adrénaline favorise l'introspection. Allez savoir pourquoi.


Ainsi donc, après avoir acquis ses pouvoirs (premier film) et avoir pris la pleine mesure de l'impact de Spider-Man sur vie (deuxième film), Peter est désormais heureux: les habitants de NY l'aiment, sa copine l'aime et connaît son secret...bref, tout va bien. Mais ce bonheur tant attendu est-il aussi solide que Peter le croit?

Mais attention. Je parle de cette série de films comme d'oeuvres d'art. Mais Spider-Man, c'est avant LA franchise de Sony. Celle qui à déjà rapporté près de 1,5 milliards de dollars dans le monde. C'est un mastodonte commercial, qui vient avec son lot de produits dérivés: jeux vidéo, costumes, jouets, lunchbox...et ça:


Je ne sais pas très bien ce que c'est, mais au fond je m'en fous un peu. C'est beau le marketing!

14.4.07

Fear the future?

Dans un des blogs que je lis tous les jours, j'ai trouvé une superbe citation de Philip K. Dick, un des plus grands auteurs de science-fiction américains (et dont les romans et nouvelles ont inspiré des films tels que Blade Runner, Total Recall, et Minority Report).

Philip K. Dick à propos de la science-fiction:

"Science fiction writers worry about trends, worry about possible dystopias growing out of the present, and this is a cardinal virtue of the field. Admittedly, there was a time when science and progress were assumed to be identical. If we worry now we have cause to...

Viewpoint and concern in science fiction are a transaction among author, editor, and reader, to which the critic is a spectator. If the reader enjoys what I write, there you have it. If he does not enjoy it, there you have nothing. 'Important' is a rule for another game that I am not playing. I did not begin to read or write SF for reasons dealing with importance. When I sat in highschool geometry class secretly reading a copy of Astounding hidden within a textbook I was not seeking importance. I was seeking, probably, intellectual excitement. Mental stimulation."
Impossible, en lisant ces lignes, de ne pas penser à Children of Men, et son anticipation du monde à venir, de dystopies qui sont une évolution du monde contemporain ! Donc, je me suis dit que ça accompagnerait joliment mon précédent post.

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Cette citation, je l'ai trouvée sur le blog de Paul Pope, un artiste/dessinateur américain que j'ai découvert grâce à ses quelques incursions dans le monde des comics (Batman: Year 100, X-Statix, Escapo...). Il y a quelque temps, il s'est mis à blogguer, et ce de façon plutôt régulière et sérieuse, ce qui m'a permis de découvrir l'étendue de ses activités: en plus des comics, il illustre des pochettes d'albums de rock, dessine des posters pour des concerts, des expos, et il fait du boulot avec des marques comme Diesel, notamment des installations dans les boutiques. Il explique chacune des ses activités, et de façon plutôt détaillée, dans ses posts. Bref, c'est plutôt intéressant à lire.
Voici quelques exemples de son travail dans le monde des comics...

Johnny Storm et Wyatt Wingfoot, dans Fantastic Four #544

Voici une page extraite d'une nouvelle (en BD) qu'il a réalisée récemment pour une anthologie des Fantastic Four: comme à l'époque de Stan Lee et Steve Ditko (scénariste et dessinateur, respectivement, et inventeurs de Spider-Man), Johnny Storm et Spider-Man se disputent de manière assez spectaculaire. J'adore le fait que le Spidey de Pope ressemble au Spidey de Ditko (en particulier son masque)...tout en restant dans un pur style Paul Pope! Pour Johnny, je ne l'ai jamais vu dessiné ainsi: sa forme humaine semble disparaître sous son manteau de flammes....Des flammes dont on à l'impression qu'elles sont vivantes!

Spidey vs la Torche, dans Fantastic Four #544

Le découpage de l'action ne ressemble en rien à celui des comics actuels. On a l'impression qu'il se passe autant de choses entre les cases, dans l'espace que l'on appelle le "caniveau" ("gutter" en VO), que dans les cases elles-mêmes! C'est donc au lecteur de reconstituer l'action, ce qui donne l'impression de participer à la mise en scène du récit...Pope doit avoir lu Scott McCloud, pour qui le caniveau est le lieu le plus important de la page, le lieu des possibles, celui où se déroule véritablement l'action.

Les connaisseurs apprécieront la dernière case: pour gagner sa vie, Peter Parker vend les photos de son "alter-héros", Spider-Man. Donc, près du lieu où Spidey et la Torche se chamaillent, une caméra est rêglée sur "automatique", et mitraille la scène...Ces photos serviront ensuite à J. Jonah Jameson, rédacteur en chef du Daily Bugle, à prouver, une fois de plus, que Spider-Man est une menace à l'ordre à public! Pauvre Spidey...

11.4.07

No, this is no bad dream

Ca y est, Children of Men sort enfin en DVD. L'occasion pour tous ceux (et ils sont nombreux!) qui l'ont loupé en salles pour enfin voir ce chef-d'oeuvre absolu, le film de SF le plus important depuis Matrix.


Là où Matrix se pose en pure fiction, qui réecrit l'histoire du monde à l'aide d'un thème classique (les machines ont vaincu les hommes, et ont fait des hommes leurs esclaves), Children of Men est un récit d'anticipation: il part des questions que se posent les pays développés aujourd'hui (comment lutter contre le terrorisme? comment gérer l'immigration?), et imagine ce que sera la Grande-Bretagne dans 20 ans, en 2027. Voilà la force de ce film, qui est capable de nous immerger dans un monde qui pourrait être le nôtre dans 20 ans.


A cet univers crédible, Cuaron ajoute un élément fictif: l'absence d'enfants. Depuis plusieurs années, plus aucun enfant n'est né. Pourquoi? On ne le sait pas. Qu'est-ce qu'un monde sans enfants? Un monde sans espoir. Un monde sans espoir est un monde sans avenir. Partout dans le monde, c'est l'anarchie. Seule l'Angleterre garde un semblant d'ordre, grâce à une politique ultra-sécuritaire et ultra-nationaliste. Les immigrés sont parqués dans d'énormes camps (de concentration?). Les gens sont encouragés à se laisser mourir. Les plus jeunes être humains font parti de groupes révolutionnaires terroristes. Privés d'avenir, ils tuent (littéralement) le temps en attendant la fin.


Mais Children of Men va plus loin que simplement construire un monde étouffant de crédibilité. C'est un thriller extrêmement efficace, une course contre la montre pour sauver l'humanité. Parce que la fin du monde n'est pas programmée. Parce que quelque part dans la campagne anglaise, une jeune femme est enceinte. Si on arrive à comprendre comment ce miracle a pu se produire, l'humanité va peut-être retrouver l'espoir qu'elle a abandonné il y a si longtemps. Clive Owen est recruté pour assurer la survie de la jeune femme. Il n'a aucune idée ce qui l'attend, et de ce qu'il devra faire pour sauver les hommes. Sera-t-il capable de redonner l'espoir aux hommes?

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Lire la critique du film sur l'excellent site américain Salon.com

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Update: le titre de ce post est (comme la majorité des titres de mes post) une référence à une chanson que j'aime: "Sheep", de Pink Floyd, que l'on peut trouver sur leur album Animals (1977). La référence me paraissait appropriée, puisque Animals est un album-concept du Floyd,qui s'inspire de l'univers du Animal Farm de George Orwell. L'influence orwellienne que l'on retrouve dans Children of Men, puisque le pouvoir politique de ce monde ressemble un peu à celui du Big Brother. Et dans Children of Men, on trouve une référence assez inhabituelle à Animals, ou plutôt à la jaquette de l'album Animals. A vous de regarder le film, et de me dire si vous avez repéré la référence!

10.4.07

Pay your surgeon very well to break the spell of aging...

Je repensais récemment au beau film américain Little Miss Sunshine. Un film à la fois très classique et très original, une variation sur le thème du road movie familial, et une vraie bouffée d'air frais...
En fouillant un peu dans la filmo des réalisateurs Valerie Faris & Jonathan Dayton, dont c'est le premier film, je me suis rendu compte que je les avais à l'oeil depuis très longtemps! Avant de tourner (enfin) leur premier film de cinéma, cette équipe avait tourné énormément de clips et de pubs. Et dans ces clips, il y a en beaucoup qui me sont restés, dont je me souviens encore, dix ans après les avoir vus pour la première fois. Je pense d'abord au superbes clips des non moins superbes morceaux Tonight, Tonight et 1979, des Smashing Pumpkins. Le clip de Tonight, Tonight, hommage au Voyage dans la lune de Méliès, m'avait particulièrement marqué par sa fantaisie, son humour, et parce qu'il me donnait l'impression de voir un vieux film de SF muet, mais en couleurs, avec pour bande son ce morceau très orchestral des Smashing.

L'influence du cinéma muet se retrouve aussi dans le clip de Other Side, la chanson des Red Hot Chili Peppers. La palette des couleurs se limite au N&B, avec des petites touches de couleur ça et là (les mèches blondes d'Anthony Kiedis, les lèvres/ailes rouges). On pense aux cinéma allemand des années '20, à Fritz Lang, à Murnau...

Pour la fantaisie et l'humour, on peut revoir avec plaisir All Around the World, de Oasis, un beau morceau dont le titre inspire au réalisateurs un clip en forme de tour du monde dans une soucoupe volante...qui nous rappelle le vaisseau spatial des deux amants de Tonight, Tonight!

Dans un registre un peu plus moderne, Faris & Dayton ont aussi réalisé pour les RHCP le clip/jeu vidéo de Californication, et l'amusant By The Way, avec sa course poursuite infernale entre un taxi et un 4x4.

Comme on peut le voir, le duo Faris-Dayton aime retravailler avec les mêmes artistes (ils ont aussi réalisé plusieurs clips pour R.E.M.), et contribue à construire les univers de ces artistes. On peut aussi apprécier chez eux la volonté de transformer les clips en récits. Chaque clip est un petit récit, avec un début et une fin. Pour ce faire, ils s'inspirent des mondes imaginaires crées par leurs illustres aînés (Méliès, Lang). Mais cela ne signife pas qu'ils négligent les mondes imaginaires plus modernes! Il suffit pour vérifier cela, de regarder le clip Freak on a leash, de Korn, qu'ils ont co-réalisé avec l'une des plus grandes stars des comics américains: Todd McFarlane, créateur de Spawn. Dans ce clip génial, qui mélange prise de vues réelles et animation, on observe au ralenti la trajectoire d'une balle de revolver... c'est l'ancêtre du bullet-time de Matrix!

......

Et enfin, deux clips qui n'ont rien à voir avec Faris et Dayton, mais que j'aime beaucoup. On reste dans des clips animés, qui se ressemblent pas mal alors que leurs styles musciaux respectifs sont plutôt éloignés: disco futuriste pour Madonna, et hard rock speedé pour les Queens of the Stone Age.


6.4.07

Scott Pilgrim and the Infinite Sadness

Il y a une BD que j'adore en ce moment, et qui ne ressemble à aucune autre: ça s'appelle Scott Pilgrim, et c'est un "manga canadien". L'action se déroule à Toronto, et le héros s'appelle Scott Pilgrim. Qui est Scott Pilgrim? Un glandeur qui ne fout pas grand chose. Un mec qui fait semblant de jouer de la basse dans un groupe de rock. Un lâche et un hypocrite qui tombe toutes les filles. La routine, quoi.
Jusqu'au jour où il rencontre la belle Ramona. Pour devenir son boyfriend, il devra réussir l'impossible: vaincre ses 7 ex-boyfriends maléfiques.

Scott Pilgrim, c'est le mélange des genres. C'est la vie quotidienne d'un glandeur, qui joue dans un petit groupe de rock le weekend, et qui ne fout pas grand chose de sa vie. Sauf que parfois, la réalité devient floue, et le monde devient plus fantasque. Une fille peut sortir de son petit sac à main un énorme marteau ("+2 against girls") et mettre la patée à sa rivale, une jeune lycéenne qui s'est teint les cheveux pour devenir une ninja meurtrière. Un mec peut se casser la gueule après un saut en skate, et se transformer en pièces d'or comme un méchant dans Super Mario Bros.

Puisque l'auteur (Bryan Lee O'Malley) est un enfant des années '80, et qu'il a beaucoup joué à la console étant jeune, on reconnait très vite les références. Il suffit de voir l'image à gauche, un dessin teaser pour le volume 3, en forme d'hommage à Super Mario 3, celui où Mario peut se transformer en écureuil volant (j'en ai trop dit, là?).

S'il veut sortir avec Ramona Flowers, Scott Pilgrim doit vaincre en combat singulier chacun de ses méchants ex-boyfriends. Heureusement qu'il est le "meilleur combattant de la province"! Et heureusement qu'il y a des point de sauvegarde sur les lieux de chacun de ses combats!

Scott Pilgrim, c'est un grand n'importe quoi, une bouffée d'air frais au ton inimitable et à l'humour décapant. C'est un manga occidental, unique en son genre.

Et comme c'est un peu difficile d'expliquer Scott Pilgrim, voici quelques vignettes, quelques planches pour mieux saisir la bizarrerie du truc:

La concurrence est rude entre tous les jeunes groupes de rock de la scène de Toronto. Scott essaye d'instaurer la peur dans le coeur de ses rivaux!


Scott et son groupe (Sex Bob-omb!) sont prêts à tout déchirer!



Scott essaye d'impressioner Ramona avec sa geekitude! Et ça ne marche pas!


Séquence "Action!". Grâce à son éloquence, Scott terrorise son adversaire, Todd le Vegan!


Pour connaître la suite, il faut lire Scott Pilgrim!

Say Goodbye to Hollywood

Hier soir, je suis allé voir Alpha Dog, le nouveau film de Nick Cassevetes. En gros, c'est du Larry Clark light, l'histoire d'un enlèvement qui commence comme une blague et qui se termine très mal.

Un mec (Jake) doit beaucoup d'argent à un autre mec (Johnny). Ce dernier décide donc, sur un coup de tête, de kidnapper le petit frère de Jake, Zack, pour forcer Jake a lui rembourser ce qu'il lui doit (on apprendra le montant exact de la dette à la fin du film). Si les personnages portent des noms de beaux gosses riches américains, c'est qu'ils le sont. Les "héros" du film sont des jeunes californiens friqués et idiots. Ils sont riches et idiots, leurs maisons ont toutes une piscine, leurs parents sont absents ("Ecoute ma chérie, je suis sous ecsta là, je peux vraiment pas te parler, OK?") et idiots aussi, ils boivent beaucoup, ils font la fête, ils prennent de la drogue, ils ont des armes...on sait comment ça va se terminer: mal. Bon, comme je savais que le film était tiré d'événements réels, je savais aussi comment ça se terminait. Donc, je me suis un peu emmerdé. D'autant que dans la plupart des scènes de déconnades et de fêtes, je n'étais pas bourré avec les mecs à l'écran, donc forcément, j'ai eu du mal à ne pas les trouver lourds.


Le problème avec ce film, c'est qu'on arrive pas vraiment à s'accrocher. On arrive pas à trouver un point d'ancrage. Nick Cassavetes a changé les noms des personnages, mais il respecte le déroulement des événements sans céder à la tentation d'enjoliver le récit ou bien de "formater" les personnages pour en faire des archétypes (ex: la brute au grand coeur, le couard qui révèle son courage à la fin du film,...). Résultat: les personnages sont tous uniformément cons. La seule différence entre eux, c'est que certains cons sont énervés, d'autres sont peace. Pendant un moment, on se dit que Frankie, le personnage de Justin Timberlake, va peut-être devenir la bonne conscience du groupe, et faire comprendre à tout le monde qu'il faudrait arrêter de déconner. Et puis non, c'est quand même plus simple d'obéir aux ordres de son pote.

Bref, Alpha Dog, c'est Bully en plus glamour, en plus habillé, et à peine moins malsain (les personnages sont un peu plus agés, et moins vicieux pour la plupart, c'est peut-être ça la différence). Mais comme chez Larry Clark, on a envie de demander: "Pourquoi?". A part comme excuse pour exhiber des beaux corps sous le beau soleil californien, à quoi ça sert de raconter cette histoire? Le suspense n'en est pas un, puisqu'on sait qu'il s'agit d'un fait divers. Le film n'apporte rien de vraiment neuf au cinéma. Ne serait-ce que parce que Larry Clark à déjà abordé ces thêmes de façon plus crue il y a bien longtemps!
Preuve absolue de l'incapacité de ce film à vraiment me passionner: j'avais du boulot à finir après le ciné, j'avais une réunion à préparer, ce qui me stressait un tout petit peu (juste ce qu'il faut, hein!)... eh ben pas longtemps après le début du film, je me suis mis à penser à ce que je devais préparer pour ma réunion, et bam! C'était fichu, j'arrivais plus à me sortir la réunion de la tête. C'est vraiment un signe qui ne trompe pas.

MAIS, car il y a un MAIS, n'oublions pas une chose essentielle: un film de ce genre, c'est avant tout une affaire d'acteurs. Et il faut reconnaître que le casting est excellent, et qu'il parvient à nous étonner, nous émouvoir, malgré la faiblesse du scénar. Les acteurs confirmés, Sharon Stone et Bruce Willis, sont parfaits. Emile Hirsch (héros de Girl Next Door) est très convaincant dans le rôle du "caïd" de 20 ans, qui effraie malgré son visage de gamin. Ben Foster montre une fois de plus son talent pour jouer des mecs complêtement dingues. Il prend manifestement beaucoup de plaisir à incarner ce junkie speedé à deux doigts du pétage de plombs. Son jeu est complêtement, délicieusement over the top. C'est assez savoureux à regarder (le meilleur pétage de plombs de Ben Foster, c'est dans Otage, un assez bon film qui mériterai que je lui consacre une chronique). Et enfin, la surprise du film: Justin Timberlake, complêtment naturel dans le rôle du mec gentil qui se retrouve piégé par sa stupidité (et par celle de ses amis). L'aisance qu'il a devant la caméra, du début jusqu'à la fin, fait plaisir à voir. J'espère qu'il sera aussi bon (il paraîtrait que oui) dans Southland Tales, de Richard Kelly. Enfin, il faudrait déjà pouvoir être sûr qu'on va voir Southland Tales, ce qui n'est pas gagné.

Bref, un film sans réel intérêt, qui contient quelques bons moments. C'est dommage d'avoir pu réunir un tel casting sans avoir un vrai scénar. Tant pis!

3.4.07

But we're never gonna survive, unless...we get a little crazy...

S'il y a bien une chose que le succès du dernier James Bond aurait du permettre, c'est de mieux faire connaître un petit bijou du polar anglais, Layer Cake. Réalisé par Matthew Vaughn, Layer Cake est le film qui a permis à Daniel Craig de décrocher le rôle de l'espion anglais. Une carte de visite, en quelque sorte, un peu comme le film Croupier, qui avait rendu Clive Owen crédible en smoking, et fait de lui, pendant un temps, un candidat très sérieux à la succession du rôle tenu jusqu'alors par Pierce Brosnan.

Ce que partagent Craig et Owen dans leur films respectifs, c'est un certain charme, une certaine assurance, et surtout, une sacrée classe! Dans Layer Cake, Daniel Craig incarne un trafiquant de drogue élégant et intelligent, un cynique à qui on ne la fait pas, qui se considère avant tout comme un businessman. Discret, efficace, il est un intermédiaire précieux dans le trafic qui a su gagner le respect de ses pairs grâce aux rêgles strictes qu'ils s'est donné, et qu'il suit à la lettre. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, et pour montrer à quel point il est malin, XXX (c'est son nom au générique) a décidé de prendre sa retraite prochainement. Il va encaisser ses gains et disparaître, et il pourra commencer une nouvelle vie. XXX est peut-être malin, mais il n'a pas vu beaucoup de films de gangsters. S'il l'avait fait, il le saurait: personne ne s'échappe du milieu. Quand t'y es, c'est pour la vie, mon coco! Il suffit d'écouter la colère du vieux Michael Corleone, qui pensait en avoir terminé avec le bizness: "Just when I thought that I was out, they pull me back in!".

La trame du film Layer Cake est plutôt classique : trahisons, secrets, retournements de situation, violence gratuite...tous les ingrédients y sont! Mais ce qui distingue Layer Cake, c'est qu'il s'agit, à l'image de son héros, d'un film élégant et maîtrisé. Loin des expérimentations visuelles et des effets "in your face" d'un Guy Ritchie, dont il fut le producteur sur Lock, Stock... et Snatch, Matthew Vaughn nous offre une mise en scène fluide, classieusse, aidée par un montage tout en finesse, et surtout, une B.O. formidable, utilisée de façon extrêmement efficace. Je repense à la seule déception que j'avais par rapport à The Departed: les morceaux de la B.O. étaient superbes (le goût de Scorsese est impeccable), mais ils n'étaient pas forcément bien agencés par rapport au montage. Certains étaient même utilisés un peu maladroitement. D'ailleurs, un lien direct existe entre les deux B.O.: le morceau Gimme Shelter, des Rolling Stones. C'est cette bande sonore qui m'a donné envie de parler de Layer Cake.


Commençons par Gimme Shelter, "morceau préféré de Scorsese"(TM), utilisé magnifiquement par Vaughn pour illustrer la (trop brève) apparition de la délicieuse Sienna Miller. Là où Scorsese utilise Gimme Shelter dans The Departed, c'est comme accompagnement au monologue d'ouverture de Jack Nicholson, qui raconte le monde dans lequel il a grandi, un monde de bouleversements intenses (l'Amérique des années '60-'70: émeutes raciales, guerre au Vietnam...). La chanson des Stones, parue dans l'album Let It Bleed (1969) décrit elle aussi , cette époque, avec un vocabulaire apocalyptique (guerre, violence, incendies, inondations...). Bref, on a donc une correspondance totale entre le morceau et la séquence. Dans Layer Cake, c'est l'inverse: le protagoniste, XXX, est dans la merde. Tous ses plans de retraite tranquille sont en train de tomber à l'eau, il est rejeté par tous ceux dont il croyait être l'allié, et un tueur serbe veut sa peau. Bref, ça va pas. Mais dans cet océan d'emmerdes, il rencontre Sienna Miller. Et ça va mieux. L'attraction est réciproque, les deux se retrouvent dans une chambre d'hôtel, et notre héros va pouvoir (enfin) oublier tout ce qui ne va pas; il va trouver ce que demande déséspérement Jagger dans Gimme Shelter: un abri de la tempête. Tout autour de lui, c'est la tempête, et là, avec Sienna, il va échapper à cette tempête. Problème: des malfrats retrouvent sa trace, et l'enlèvent de force au moment ou Sienna sort de la salle de bain dans un superbe ensemble de lingerie avec porte-jarretelles. C'est trop con! Le shelter n'a pas été à la hauteur. Pas un instant de répit n'est accordé notre gentil dealer.
Un autre morceau formidable, utilisé à très bon escient, c'est Ruthless Gravity, de Craig Armstrong, un compositeur de B.O. Ruthless Gravity est le premier morceau de son superbe album As If To Nothing, Bon, c'est facile (et un peu hype aussi!) de choisir du Armstrong pour illustrer une scène de film, mais ça n'en est pas moins efficace. Ruthless Gravity, c'est le morceau qui accompagne la lente descente aux Enfers de XXX, qui r
egarde sa télé comme un zombie et avalant des cocktails whisky+médocs. Ecrasé par sa situation, il donne l'impression de s'effriter, de s'écrouler. Le morceau d'Armstrong contribue à créer un sentiment d'oppression grandissant. XXX est poussé jusque dans ses derniers retranchements. Le seul moyen de mettre fin à cette spirale infernale, c'est de violer un de ses principes les plus anciens: ne jamais utiliser de flingue. Et là, au moment où le tabou est brisé, le morceau explose. La pesanteur devient tout d'un coup moins oppressante, et XXX peut enfin relever la tête, prêt à en découdre avec tous les enfoirés qui l'empêchent d'accomplir son objectif. Yeah!

Et dans le rôle de Sidney le loser, Ben Whishaw, le Grenouille du Parfum de Tykwer!

Mais le morceau qui m'a le plus marqué, dans ce film , c'est Ordinary World, de Duran Duran. Le morceau se fait d'abord entendre à la radio du petit café dans lequel XXX et un de ses potes mangent un morceau, tout en faisant le point sur la précarité de leur situation. C'est là que débarque un clodo qui reconnait le comparse de XXX, et lui demande un peu d'argent, "en souvenir du bon vieux temps". Sans que l'on sache pourquoi, le comparse cède, et offre le déjeuner au clochard, un vieil ami à lui. On sent un malaise, et tout d'un coup, c'est l'explosion: le comparse de XXX se jette sur le clochard, et entreprend de lui démolir la figure. Ordinary World passe alors au premier plan sonore, à tel point qu'on entend plus que ça. Le point de vue du film change aussi: on passe de plans d'ensemble à un point de vue à la première personne, celui du mec qui est en train de se faire casser la gueule. On a même l'effet de ses yeux qui s'ouvrent et se ferment sous l'effet de la douleur. Bref, la confusion est totale, et le rythme de la scène suit le rythme de la chanson, avec ses creux, ses remontées, et ce génial riff de guitare qui "descend", qui "plonge", une sorte de mélodie fataliste qui annule la possibilité d'accéder au "ordinary world", à la normalité, au bonheur...la musique fataliste annonce que la quête du chanteur est vouée à l'échec...Encore une fois, le morceau en lui-même trouve un lien avec la scène, puisqu'on y parle d'un mec qui a perdu pied, qui a perdu ses répères, et qui cherche à retrouver le chemin vers un "monde ordinaire", loin des démons de son passé...cette quête, c'est bien celle de XXX, qui cherche à échapper au monde auquel il appartient (celui du trafic de drogue) pour devenir un bourgeois ordinaire, respectable. Lui qui ne considère pas la coke comme un produit hors du commun (cf. son fantasme à la Fight Club où il se voit dans un supermarché où tous les rayons sont remplis de paquets au design stylé...qui contiennent de la cocaïne!) ne rêve que de respectabilité. Layer Cake, c'est la croisée des chemins pour XXX, le moment où les choix qu'il va faire vont influencer tout son avenir: va-t-il survivre à ses ennuis (mortels) et devenir un baron de la drogue, ou va-t-il tout envoyer balader?

La dernière chose sur laquelle je me permets d'insister à propos d'Ordinary World, et je permets d'insister parce qu'elle élève la chanson au panthéon des meilleurs chansons pop de tous les temps, c'est son aspect autobiographique pour Duran Duran. Duran Duran, c'est l'incarnation des années '80: coiffures bizarres, fringues fluos, abus de synthés...bref, c'était tellement typé qu'on pouvait se demander comment le groupe survivrait à cette décennie. Et ce qui devait arriver, arriva: quand la pop synthétique des années '80 est devenue has been, Duran Duran ne s'en est pas vraiment remise. Eux qui remplissaient les stades, on les entendait plus, et leurs albums se sont plantés, on les croyait enterrés. Mais, comme un sursaut, ils pondent en 1992 The Wedding Album. Et de cet album, on entend deux bons singles, Come Undone, et, surtout, Ordinary World. Le héros de Ordinary World, c'est le groupe Duran Duran. Après une décennie de succès, Duran Duran réapprend à vivre dans un monde qui a changé, et cherche à faire le point sur le passé pour mieux envisager l'avenir. La force d'Ordinary World, c'est ça: une sincérité profonde, touchante. Une chanson en guise d'aveu, et de résolution. Un groupe qui nous fournissait autrefois de la soupe insipide nous envoie enfin un message sincère. Comment ne pas être ému?

Le clip d'Ordinary World.