3.4.07

But we're never gonna survive, unless...we get a little crazy...

S'il y a bien une chose que le succès du dernier James Bond aurait du permettre, c'est de mieux faire connaître un petit bijou du polar anglais, Layer Cake. Réalisé par Matthew Vaughn, Layer Cake est le film qui a permis à Daniel Craig de décrocher le rôle de l'espion anglais. Une carte de visite, en quelque sorte, un peu comme le film Croupier, qui avait rendu Clive Owen crédible en smoking, et fait de lui, pendant un temps, un candidat très sérieux à la succession du rôle tenu jusqu'alors par Pierce Brosnan.

Ce que partagent Craig et Owen dans leur films respectifs, c'est un certain charme, une certaine assurance, et surtout, une sacrée classe! Dans Layer Cake, Daniel Craig incarne un trafiquant de drogue élégant et intelligent, un cynique à qui on ne la fait pas, qui se considère avant tout comme un businessman. Discret, efficace, il est un intermédiaire précieux dans le trafic qui a su gagner le respect de ses pairs grâce aux rêgles strictes qu'ils s'est donné, et qu'il suit à la lettre. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, et pour montrer à quel point il est malin, XXX (c'est son nom au générique) a décidé de prendre sa retraite prochainement. Il va encaisser ses gains et disparaître, et il pourra commencer une nouvelle vie. XXX est peut-être malin, mais il n'a pas vu beaucoup de films de gangsters. S'il l'avait fait, il le saurait: personne ne s'échappe du milieu. Quand t'y es, c'est pour la vie, mon coco! Il suffit d'écouter la colère du vieux Michael Corleone, qui pensait en avoir terminé avec le bizness: "Just when I thought that I was out, they pull me back in!".

La trame du film Layer Cake est plutôt classique : trahisons, secrets, retournements de situation, violence gratuite...tous les ingrédients y sont! Mais ce qui distingue Layer Cake, c'est qu'il s'agit, à l'image de son héros, d'un film élégant et maîtrisé. Loin des expérimentations visuelles et des effets "in your face" d'un Guy Ritchie, dont il fut le producteur sur Lock, Stock... et Snatch, Matthew Vaughn nous offre une mise en scène fluide, classieusse, aidée par un montage tout en finesse, et surtout, une B.O. formidable, utilisée de façon extrêmement efficace. Je repense à la seule déception que j'avais par rapport à The Departed: les morceaux de la B.O. étaient superbes (le goût de Scorsese est impeccable), mais ils n'étaient pas forcément bien agencés par rapport au montage. Certains étaient même utilisés un peu maladroitement. D'ailleurs, un lien direct existe entre les deux B.O.: le morceau Gimme Shelter, des Rolling Stones. C'est cette bande sonore qui m'a donné envie de parler de Layer Cake.


Commençons par Gimme Shelter, "morceau préféré de Scorsese"(TM), utilisé magnifiquement par Vaughn pour illustrer la (trop brève) apparition de la délicieuse Sienna Miller. Là où Scorsese utilise Gimme Shelter dans The Departed, c'est comme accompagnement au monologue d'ouverture de Jack Nicholson, qui raconte le monde dans lequel il a grandi, un monde de bouleversements intenses (l'Amérique des années '60-'70: émeutes raciales, guerre au Vietnam...). La chanson des Stones, parue dans l'album Let It Bleed (1969) décrit elle aussi , cette époque, avec un vocabulaire apocalyptique (guerre, violence, incendies, inondations...). Bref, on a donc une correspondance totale entre le morceau et la séquence. Dans Layer Cake, c'est l'inverse: le protagoniste, XXX, est dans la merde. Tous ses plans de retraite tranquille sont en train de tomber à l'eau, il est rejeté par tous ceux dont il croyait être l'allié, et un tueur serbe veut sa peau. Bref, ça va pas. Mais dans cet océan d'emmerdes, il rencontre Sienna Miller. Et ça va mieux. L'attraction est réciproque, les deux se retrouvent dans une chambre d'hôtel, et notre héros va pouvoir (enfin) oublier tout ce qui ne va pas; il va trouver ce que demande déséspérement Jagger dans Gimme Shelter: un abri de la tempête. Tout autour de lui, c'est la tempête, et là, avec Sienna, il va échapper à cette tempête. Problème: des malfrats retrouvent sa trace, et l'enlèvent de force au moment ou Sienna sort de la salle de bain dans un superbe ensemble de lingerie avec porte-jarretelles. C'est trop con! Le shelter n'a pas été à la hauteur. Pas un instant de répit n'est accordé notre gentil dealer.
Un autre morceau formidable, utilisé à très bon escient, c'est Ruthless Gravity, de Craig Armstrong, un compositeur de B.O. Ruthless Gravity est le premier morceau de son superbe album As If To Nothing, Bon, c'est facile (et un peu hype aussi!) de choisir du Armstrong pour illustrer une scène de film, mais ça n'en est pas moins efficace. Ruthless Gravity, c'est le morceau qui accompagne la lente descente aux Enfers de XXX, qui r
egarde sa télé comme un zombie et avalant des cocktails whisky+médocs. Ecrasé par sa situation, il donne l'impression de s'effriter, de s'écrouler. Le morceau d'Armstrong contribue à créer un sentiment d'oppression grandissant. XXX est poussé jusque dans ses derniers retranchements. Le seul moyen de mettre fin à cette spirale infernale, c'est de violer un de ses principes les plus anciens: ne jamais utiliser de flingue. Et là, au moment où le tabou est brisé, le morceau explose. La pesanteur devient tout d'un coup moins oppressante, et XXX peut enfin relever la tête, prêt à en découdre avec tous les enfoirés qui l'empêchent d'accomplir son objectif. Yeah!

Et dans le rôle de Sidney le loser, Ben Whishaw, le Grenouille du Parfum de Tykwer!

Mais le morceau qui m'a le plus marqué, dans ce film , c'est Ordinary World, de Duran Duran. Le morceau se fait d'abord entendre à la radio du petit café dans lequel XXX et un de ses potes mangent un morceau, tout en faisant le point sur la précarité de leur situation. C'est là que débarque un clodo qui reconnait le comparse de XXX, et lui demande un peu d'argent, "en souvenir du bon vieux temps". Sans que l'on sache pourquoi, le comparse cède, et offre le déjeuner au clochard, un vieil ami à lui. On sent un malaise, et tout d'un coup, c'est l'explosion: le comparse de XXX se jette sur le clochard, et entreprend de lui démolir la figure. Ordinary World passe alors au premier plan sonore, à tel point qu'on entend plus que ça. Le point de vue du film change aussi: on passe de plans d'ensemble à un point de vue à la première personne, celui du mec qui est en train de se faire casser la gueule. On a même l'effet de ses yeux qui s'ouvrent et se ferment sous l'effet de la douleur. Bref, la confusion est totale, et le rythme de la scène suit le rythme de la chanson, avec ses creux, ses remontées, et ce génial riff de guitare qui "descend", qui "plonge", une sorte de mélodie fataliste qui annule la possibilité d'accéder au "ordinary world", à la normalité, au bonheur...la musique fataliste annonce que la quête du chanteur est vouée à l'échec...Encore une fois, le morceau en lui-même trouve un lien avec la scène, puisqu'on y parle d'un mec qui a perdu pied, qui a perdu ses répères, et qui cherche à retrouver le chemin vers un "monde ordinaire", loin des démons de son passé...cette quête, c'est bien celle de XXX, qui cherche à échapper au monde auquel il appartient (celui du trafic de drogue) pour devenir un bourgeois ordinaire, respectable. Lui qui ne considère pas la coke comme un produit hors du commun (cf. son fantasme à la Fight Club où il se voit dans un supermarché où tous les rayons sont remplis de paquets au design stylé...qui contiennent de la cocaïne!) ne rêve que de respectabilité. Layer Cake, c'est la croisée des chemins pour XXX, le moment où les choix qu'il va faire vont influencer tout son avenir: va-t-il survivre à ses ennuis (mortels) et devenir un baron de la drogue, ou va-t-il tout envoyer balader?

La dernière chose sur laquelle je me permets d'insister à propos d'Ordinary World, et je permets d'insister parce qu'elle élève la chanson au panthéon des meilleurs chansons pop de tous les temps, c'est son aspect autobiographique pour Duran Duran. Duran Duran, c'est l'incarnation des années '80: coiffures bizarres, fringues fluos, abus de synthés...bref, c'était tellement typé qu'on pouvait se demander comment le groupe survivrait à cette décennie. Et ce qui devait arriver, arriva: quand la pop synthétique des années '80 est devenue has been, Duran Duran ne s'en est pas vraiment remise. Eux qui remplissaient les stades, on les entendait plus, et leurs albums se sont plantés, on les croyait enterrés. Mais, comme un sursaut, ils pondent en 1992 The Wedding Album. Et de cet album, on entend deux bons singles, Come Undone, et, surtout, Ordinary World. Le héros de Ordinary World, c'est le groupe Duran Duran. Après une décennie de succès, Duran Duran réapprend à vivre dans un monde qui a changé, et cherche à faire le point sur le passé pour mieux envisager l'avenir. La force d'Ordinary World, c'est ça: une sincérité profonde, touchante. Une chanson en guise d'aveu, et de résolution. Un groupe qui nous fournissait autrefois de la soupe insipide nous envoie enfin un message sincère. Comment ne pas être ému?

Le clip d'Ordinary World.



1 commentaire:

Unknown a dit…

Sympa ta crtitique, j'aime beaucoup. J'avais apprécié la B.O., mais j'avoue ne pas avoir autant tilté que toi sur la signification des morceaux employés (ma culture musicale est sans nul doute un peu limitée), mais j'aime beaucoup la façon dont tu en as fait ressortir l'importance.
Film très sympa.

Merci pour ton com' sur http://ashtray-girl7.blogs.allocine.fr/ :-)

See you!